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Le monde selon Ashram Azgaby
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9 janvier 2012

Le lavomatic

          Il est 21h et cet amas de fringues sales commencent à envahir l'air ambiant de mon appartement tout en me rappelant par là-même que je n'ai même plus un caleçon pour demain.
Ma civilité me rattrape, je refuse de puer en société et attrape alors des deux mains ce tas qui semble former un ensemble soudé et le fourre dans mon sac de voyage ; ce sac qui appartenait à mon grand-père du temps de son service militaire et qui acceuille désormais l'âcre senteur de l'homme.
Les âmes mortes dans le dos et ma piêtre vie vestimentaire m'abaissant l'épaule droite, je pars vers le lavomatic, à deux rue de là. J'avais l'habitude d'y croiser cette belle étudiante qui, à mon arrivée, retirait son casque pour appeler sa mère et me conter sa vie. Mais pas ce soir ; ce soir, c'est fermé. Je ne peux qu'admirer la vitrine partiellement fracturée et les quelques machines entassées dans l'obscurité où planne une odeur de lessive bon marché.
Il y en a un autre, un peu plus loin, vers les quais.
Quinze minutes à transvaser une douleur de gauche à droite, à tenter de me souvenir de l'emplacement précis de ce lavomatic, croiser le regard d'une jolie blonde qui me gratifie d'un généreux sourire auquel je ne sais répondre que par des fantasmes jusqu'à l'arrivé devant cette feuille blanche maintenue par un vulgaire bout de scotch sur la porte vitrée du lavomatic : "horaire: 8h30-20h". Super, je vais où maintenant ?
Je demande à chaque passants s'ils savent où se trouve un lavomatic. Le seul qui ne me répond pas par la négative m'en indique un, vers la gare.
J'y suis, il est ouvert. Il n'y a pas de lumière, tant pis pour Gogol. Un homme seul s'y trouve, il reste debout, impatient. J'investis une machine et m'installe sur une chaise fixé au mur dont je ne saurais imaginer la couleur antérieure.
Un garçon, une quinzaine d'année peut être, s'assied à ma droite et commence à rouler son joint en me demandant de ne pas m'appuyer au dossier pour le cacher de la rue -dans laquelle il vit sûrement. Le siège semble mal fixé et je me demande à quel moment je me retrouverais cul à terre. La grasse odeur de son shit pénètre mes narines.

Il n'est pas tout seul ce jeune homme, ils sont une dizaine à l'extérieur et entrent à tour de rôle pour venir pisser dans le coin de la pièce d'où l'urine coule jusqu'en son milieu. Sans doute leur soirée sera finie quand le lavomatic aura l'apparence d'une triste pataugeoire.
Il boivent, fument, vocifèrent, hurlent aux voisins fatigués d'aller se faire foutre, ils sont des animaux enfermés dehors comme le cri l'un d'eux. Je me dis que celui-là est probablement le plus à craindre, et je me rendrais compte que j'avais vu juste.

   Une agitation se déroule au sein de cette meute, je les observe sans comprendre. Puis l'arrivée du tram provoque un charivari insensé ; ils hurlent et sautent de joie, semblent plus ivres de bonheur qu'ils l'étaient plus tôt par le whisky. Le tram part.

Le calme.
Je souffle de soulagement et regarde le jeune homme toujours présent qui me sourit aussitôt. Je le lui rend cette fois, il avait un sens celui-ci.
Le tambour a rendu ses vêtement secs, il me salut en partant.
Je laisse mes yeux vagabonder et constate la tristesse des écritaux : "Inutile de chercher le tiroir-caisse, on est déjà passé" . "lavage à la main interdit" . "etc". Une minuscule caméra orne le coin de la pièce.
Je suis intérompu, deux jeunes filles entrent et retirent de derrière une machine -sans doute à un angle que la caméra ne peut saisir- quelques barettes de hash, puis s'en vont.
Quelques minutes plus tard, deux voitures de la police municipale arrivent, se garant en diagonale sur les rails du tramway. Je les entends proclamer à la radio qu'il n'y a plus personne, qu'ils rentrent. Je soupire.

Le calme avant la tempête.
Je n'ai à peine eu le temps de savourer cette instant que les revoilà, les mêmes.
Ils savaient que les flics débarqueraient, mais c'est ici qu'ils vendent leur shit coupé au henné, ils ne peuvent se permettre d'aller ailleurs, pas ce soir.
Leur fureur semble avoir doublé -en parallèle de leur taux d'alcoolémie. Ils claquent de toute leur force les hublots des machines à laver, font tonner le métal qui les recouvre. Leurs allées et venues sont incessants.
L'animal enfermé dehors et un autre à l'exiguité tout aussi impressionante entrent. Le dernier lance un cri sec à s'en déchirer la trachée, mes jambes décolle du sol en un pathétique sursaut ; ça a au moins le mérite de les faire rire.
L'animal n'aime pas ma tête, il me l'a dit. Il me jette maintenant son verre à travers la porte ouverte, je me lève pour éviter les gouttes. Son pote lui dit d'arrêter, il était à la place du rouleur et se trouve maintenant mouillé. Je me rassieds, puant un alcool que je ne saurais identifier.
Ils sont presques tous là, devant moi, ils sautillent enlacés sur le son saturé des youyous qu'ils n'ont la chance de connaître que par les ridicules enceintes d'un téléphone portable.
Je ne fais même plus attention à la pisse qui ne va pas tarder à atteindre mes chaussures.
Ils sont trois maintenant, l'animal est là. Il vient me voir, me propose de lui acheter de son shit bas de gamme et hors de prix. Malgré l'alléchante proposition, je décline poliment. Il me demande ensuite un cigarette, je lui réponds que j'ai arrêté de fumer. Il s'enflamme, me demande ce que je fou là si je ne veux pas de shit et que j'ai pas de quoi lui filer une clope. Je lui réponds que, aussi bizzare que celà puisse paraître, je lave mes vêtements. Il me demande hargneusement si je veux qu'il les brûle, je lui réponds que non, c'est mes vêtements. Il me menace de me péter la machoire, il tourne sur lui même, comme s'il essayait de se contrôler.
Au troisième ultimatum, je me lève, je ne veux pas être assis quand je me ferait péter la gueulle. Je suis face à lui, je le regarde droit dans les yeux, je ne sais même pas quelle émotion y voir tant je suis aveuglé par la peur. Il hurlent, potillone et me crache son haleine putride au visage. Puis il s'arrête, tend sa main en ma direction, sourit, et me dit qu'il rigole avec moi. Je lui claque la main et me rassieds, humilié.

Ils sont nombreux devant moi, saouls et agressifs. Un dernier entre et claque vigoureusement la porte.
Quand l'un d'eux essaye de sortir, il constate que la porte ne s'ouvre pas, le claquement l'avait bloqué. Je fais de mon mieux pour dissimuler ma panique, m'imaginant que tout celà était calculé et que maintenant, comme ils l'avaient suggéré, j'avalerai leurs bittes et perdrai mes dents.
Ma peur s'estompe quand je vois qu'eux aussi s'inquiètent de passer la soirée là. L'un s'approche de la porte, saisi la poignée et la tire violemment. Elle s'ouvre en un fracas suivit de cris élogieux en l'honneur de notre héro.

   Les insultes et menaces ne cessent pas, je n'y réponds même plus.
Soudain, sortie de nul part, apparaît cette blonde que j'avais croisé quelques heures plus tôt. Elle est là, sur un vélo hollandais, accompagné d'un homme aux cheveux gris qu'elle quitte à un hall d'imeuble, je peux la voir par la vitre de derrière.
Ses longues boucles blondes viennent flatter ses fines épaules, elle porte des lunettes aux montures noires et épaisses. Je n'aime pas ces lunettes qui donne un air faussement intellectuel, mais elle les porte à merveille ; elle est sublime.
Je vis l'un des pires moments de ma vie, et cette fille vient l'illuminer de ses boucles d'or ornant ses yeux emeraudes parfaitement encadrés.
Je veux lui courir après, mais je réfléchi trop longuement à la théâtralité de mon entrée, elle est déjà loin. Je retourne à mes vicissitudes futures.

Ma machine est finie. Je ne sais pourquoi -peut être par masochisme- je repars pour une demie heure de sèche-linge à deux euro.
Les humiliations continues, je ne les compte plus et ne les conterai pas.

Le tambour a cessé de tourner, laissant place à un bip qui me signale la fin du calvaire.
Rien n'est sec mais je fourre tout de même l'ensemble dans mon sac. Une chaussette tombe à mes pieds dans la mare d'urine. Tant pis, je saurai où je l'ai perdu celle-là.
Je reprends mon sac à dos et constate qu'il est ouvert, ils n'y ont rien trouvé d'intéressant apparemment.

_ Bonne soirée à toi. Rentre bien, me lance avec compassion le garçon d'une quinzaine d'année.
_ A toi aussi, lui répondis-je, exténué.


   Il me reste cinq minutes pour rentrer chez moi, j'ai envie de pleurer mais n'y parvient même pas.
Quand je pousse ma porte, il est plus de minuit. Je voudrai m'endormir sur le canapé, ce serait plus dramatique que de me reposer sous mon épaisse couette, mais je dois encore tapisser tout mon appartement de mes vêtements humides si je ne veux pas qu'ils prennent l'odeur rance du linge mal séché.
Demain, j'achèterai un étendoir.

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